Bonjour les lettres (les dernières) !

Depuis la première lettre à l'été 1940, les années se sont écoulées. Les lettres, rares, se suivent et se ressemblent. Je vais bien, j'ai reçu (ou n'ai pas reçu ) de vos nouvelles, j'ai reçu (ou non) vos colis, il fait froid (ou moins froid), je pense à vous, j'attends de vous revoir.

Le 4 novembre 1942 à M. de sa mère :

... Aujourd'hui mon fils chéri tu as 26 ans et tu es loin de tous ceux qui t'aiment ... Pauvre Xxx, il pense à ses chers enfants, il dit en rêver la nuit ...

Le 4 avril 1943 de sa mère à M (dernière lettre avant sa mort) :

A mon fils M. Chéri, C'est dimanche. Papa et moi sommes dans la salle à manger. Papa lit pendant que je t'écris... Nous allons tous bien... Reçois, M. chéri, des bzisers de nous tous . Bien affectueusement. Maman

13 Mai 1943 d'une de ses soeurs à M. :

Mon cher M. chéri. Aujourd'hui c'est moi qui suis chargée de t'écrire. Papa m'a envoyé vos lettres réponses et m'a chargé d'une bien pénible  nouvelle. Lui, le pauvre homme a trop de douleur et de chagrin pour vous l'apprendre. Mon cher M., notre petite maman n'est plus là. Elle est morte le 24 Avril. ... La pauvre chérie a eu un bel enterrement. Mon cher M. du courage. Bien affectueusement.

16 Mai 1943 de M. à ses parents :

Chère petite maman, chers tous. J'ai reçu aujourd'hui avec beaucoup de plaisir ta gentille carte du 25 janvier. Avec plaisir, j'apprends que vous êtes tous en très bonne santé, et que je suis une fois de plus tonton ... Je vous envoie une étiquette. Peut-être recevrai-je un colis avec ?      J'en attends toujours d'Algérie, non qu'ils me soient nécessaires, mais cela fait toujours plaisir de recevoir quelque chose de chez soi ...

6 Juin 1943 de M. à sa mère :

Chère petite maman, chers tous. Je n'ai pas reçu de vos bonnes nouvelles cette semaine, mais j'espère bien en avoir la semaine prochaine. Je suis toujours en bonne santé avec le même moral. Je vous envoie à tous chers parents, mes plus affectueux baisers.

Le 3 Août 1943 de son père à M.

A mon cher fils M, je reçois aujourd'hui ta lettre datée du 30 mai et je vois par cette lettre que tu ne connais pas encore  l'affreuse nouvelle qui nous a affreusement affectés de la perte de notre chère Maman, du 24 Avril dernier. Quand cette dernière (lettre) arrivera, je pense que tu seras libéré en France. Tous les autres prisonniers nord-africains ont été affectés du côté de Bordeaux. Si tu pouvais te fair emettre en résidence dans la Provence, je préfèrerais car nous avons encore de la famille et tu serais bien reçu. Je m'empresserai d'écrire pour te recommander, fais moi le savoir dès que tu seras sûr de ta destination. Nous te faisons expédier tous les mois deux colis par la Croix Rouge, que nous payons. Dans cette attente, nous attendons avec impatience la certitude de ces nouvellesdonnées les uns par les autres. Reçois de tous et de ta grandesoeur en particulier son affection la plus sincère. Ton père qui t'aime de tout son coeur avec ses meilleurs baisers.

Le 1er Septembre 1943 de sa soeur à M. :

Je t'écris pour te donner des nouvelles qu'elles sont bonnes. C'est le destin, mon pauve M., qui n'a pas voulu lui donner la joie de vous revoir tous ensemble. Il faut avoir du courage. Dieu ne l'a pas permis. Mais il lui a fait la grâce d'une mort douce, sans crainte et sans duleur. Baisers

Le 3 Septembre 1943 de M. à son père :

Cher papa, chers tous, Je suis toujours en très bonne santé et espère qu'il en est de même à la maison. Il y a quelque temps déjà que je n'ai rien de vous. Enfin, que cela finira un jour. Recevez mes meilleurs baisers. Votre M.

Le 26 Septembre 1943 de M. à son père :

Je n'ai pas encore reçu cette semaine de vos nouvelles. J'espère qu'elles sont toujours bien bonnes. Les colis n'arrivent eux aussi toujurs pas. J'ai reçu une carte de Xxx [frère prisonnier]. Il est en bonne santé. Bons et affectueux baisers de votre petit M.

Octobre 1943 de M. à son père :

Cher papa, chers tous, j'ai reçu cette semaine avec plaisir ta lettre du 7 juillet. Je ne sais pas cher Papa où tu as appris que les Nord-africains étaient libérés en France, mais c'est certainemant pas vrai, la preuve c'est que je suis encore actuellement en Prusse Orientale. J'ai aussi deux colis à aller chercher chez le gardien ce soir. Je ne peux encore dre d'où ils viennent et ce qu'ils contiennent. Je te dirai ça dans ma prochaine lettre. J'ai eu de très bonnes nouvelles de Xxx [frère prisonnier] aussi. Il a toujours un très bon moral, comme moi du reste. Oui cher père, nous allons tous les deux très bien et nous attendons avec impatience le moment où il nous sera possible de t'embrasser de tout coeur, ainsi que nos chers soeurs et frères que nous aimons beaucoup. Bons et affectueux baisers à tous. M.

17 Novembre 1943 de M à son père :

Aujourd'hui dimanche je suis allé au village toucher un beau colis Pétain pour la Noël ...

le 8 Mars 1944 de M. à son père:

... Nous sommes restés quelque temps sans écrire, faute de papier. ... Maintenant, chers parents, j'espère que ma lettre vous arrivera à temps pour commémorer avec vous la mort de notre chère maman ...

Le 24 Septembre 1944 de M. à son père :

J'ai reçu hier avec beaucoup de plaisir ta lettre du 24 juillet. Tu as peut-être un peu trop parlé des événements, mon cher papa, car ta lettre était censurée. Je comprends très bien que la vie n'est pas rose pour vous tous non plus ...

26 Novembre 1944 de M. à son père :

Il y a de nouveau bien longtemps que je n'ai plus de vos nouvelles. J'espère de tout coeur que vous êtes en très bonne santé. Pour moi, cela va toujours bien. J'avais espéré, comme beaucoup d'entre nous, passer ce Noël 44 chez nous, au milieu de la famille. Encore une fois, il n'en sera rien. Peut-être que Dieu exaucera nos prières et que Noël 45 nous retrouvera réunis. ... Souhaitez de ma part une bonne année à toute la famille. Baisers à tous.

30 Janvier 1945 de son nouveau beau-frère à M. :

Je vous fait savoir que c'est le 17 de ce mois que nous nous sommes mariés, il n'y a pas eu de noces, comme vous le pensez. Nous espérons vous revoir bientôt. ... Xxx est rentré. ...

Salut Papa ! Quelle connerie la guerre.

Comments

[Pastelle]

Merci pour la suite de l'histoire, ici et ailleurs. Comme d'hab quand je suis trop touchée je me transforme en muette. Mais merci. De tout coeur. ♥

[xavier]

Merci Nicole. Merci pour ce partage qui me laisse assez bouleversé...

[Pascalevdb]

Que dire de plus qui n'ait été dit ? C'est vrai que ces lettres sont très émouvantes, surtout avec ce décalage qui fait qu'il n'a été au courant du décès de sa mère que bien tard. Quelle horreur, la guerre et ses conséquences ! Pourvu que nos enfants et petits enfants ne connaissent pas cela !!!

[AniLouve]

La suite ? Bien sûr mon père a fini par être libéré et rentrer chez lui après un long périple, pour y retrouver une famille disloquée et des conditions matérielles assez misérables. Mais il s'en est sorti, a passé des concours et fait sa vie. Et à 40 ans il a été rappelé sous les drapeaux pour des gardes épisodiques pendant la guerre d'Algérie.

Il n'était pas amer. Il ne se plaignait pas. Il croyait en sa bonne étoile. Il ne parlait presque jamais de la guerre. Il était tolérant. Il mettait en avant les côtés positifs des choses. Il aimait profiter de la vie et ne laissait échapper aucune occasion de se réjouir. Ayant souffert de la faim, il appréciait particulièrement les fruits juteux,la bonne chère et les bons vins.

Le froid et les privations avait laissé des traces et sur la fin de sa vie il était reconnu invalide de guerre à 75%.

Nous ses enfants aurions pu être déclarés pupilles de la nation.



C'était un homme bien.

[Pastelle]

Bouleversant.

Mais oui, on aimerait avoir la suite de l'histoire.